Je suis Olipix et dans cet article je vous emmène au cœur d’une année particulière : 1971. Une année charnière où les machines électromécaniques (EM) rivalisaient encore d’ingéniosité alors que les tout premiers jeux vidéo commençaient à apparaître (Computer Space, entre autres). J’ai passé des heures à examiner flyers, vidéos de machines restaurées et mécanismes internes — le but : comprendre pourquoi ces bornes faisaient encore rêver et comment, techniquement, elles créaient des sensations fortes sans une seule puce microprocesseur.
🪖 Defender Machine Gun (Chicago Coin’s) — la machine à effets 3D
Commençons par Defender Machine Gun, signée Chicago Coins. Le flyer vend l’idée : "devenez un as de la guerre" — une promesse simple, visuelle et très vendeuse. Le joueur se retrouve face à un décor de village en danger et prend place derrière une réplique de mitraillette. L’ensemble mise sur trois choses : la sensation physique (recul de l’arme), le spectacle (avions qui tournent et explosent) et l’immersion auditive (nouveau système sonore "solid state").
 
Sur le flyer, on voit la marquise, la mitraillette réaliste et une scène de village attaqué — tout un tableau marketing conçu pour capter l’opérateur et le joueur.
La technique est classique pour les EM : des avions montés sur une tige rotative (ou tige/axe) sont animés physiquement à l’intérieur de la caisse, puis réfléchis sur un écran incliné à 45° pour créer l’illusion d’un avion flottant au-dessus du décor peint. Le rendu est souvent décrit comme « 3D » à l’époque — un mot magique utilisé pour vendre l’effet de profondeur.
 
La détection des tirs est ingénieuse : un réseau de pistes et contacts (un "micromécanisme" de fils et languettes) calcule la position du canon et détecte le point d’impact en comparant la visée du joueur avec la position effective des avions. Quand l’avion est touché, la scène culmine sur une explosion « à l’Hollywood » et l’affichage de points (500, 400, 300 selon la zone touchée).
Points techniques et fiertés marketing
- Recul mécanique : pour simuler la vibration et l’impact du tir.
- Système sonore solid-state : isolé pour que seul le joueur entende les effets et éviter la pollution sonore dans la salle.
- Reflet miroir 45° : technique de projection utilisée à foison dans les EM pour superposer éléments mobiles et décors peints.
Regarder des vidéos d’exemplaires restaurés (quelques propriétaires chanceux possèdent encore ces bornes) permet de mesurer l’écart entre le flyer et la réalité — et pourtant la magie opère toujours : les avions rappelant des biplans de la Première Guerre rendent l’expérience unique.
🏁 Drag Races (Allied Leisure) — le duel en ligne droite
Drag Races (souvent appelé Drag Racid Leure sur les flyers mal reproduits) incarne la culture américaine du dragster : deux joueurs, un volant chacun, deux pédales — et une course en ligne droite. Pas de circuit sinueux ici, mais un challenge très accessible : maîtriser les départs et les contre-corrections pour éviter de perdre le contrôle.
 
Le marketing ne se contente pas de vanter le réalisme sonore (moteurs, pneus) : il promet des revenus significatifs aux exploitants ("double profit" !). En pratique, le gameplay repose sur la gestion de l’équilibre du véhicule à grande vitesse. Les vidéos d’installations restaurées montrent un gameplay nerveux — le joueur corrige en permanence les tendances à la dérive de son dragster virtuel.
Ce qui marche (ou pas)
- Avantage opérateur : format 2 joueurs très attractif pour générer du paiement simultané.
- Gameplay : simple mais répétitif — pour un public européen habitué à la conduite traditionnelle, l’intérêt peut être limité.
- Satisfaction : sensations de vitesse et bruitage immersif restent efficaces.
 
En résumé : Drag Races est une machine de confrontation sociale — rapide à prendre en main, moins séduisante pour ceux qui cherchent une simulation technique de conduite.
🔫 Twin Machine Guns / Foreign Legion (Chicago Coins) — duel de mitraillettes
Chicago Coins frappe encore avec Twin Machine Guns (parfois vendu sous le titre Foreign Legion). Ici, on reprend la formule du tir d’avion mais en la combinant avec des éléments de plateau : avions en "fantôme" réfléchis au-dessus d’un décor et cibles terrestres (canons, tanks). Le twist : deux mitraillettes, deux joueurs, possibilité de jouer contre la montre ou en duel direct.
 
Ce qui est immédiatement frappant, c’est l’alternance entre cibles aériennes et terrestres — une façon d’éviter la monotonie du simple shoot aérien. Les effets sonores, là encore mis en avant, mélangent bruitage d’armes et ambiance aérienne pour renforcer l’urgence de l’action.
Mécanique et innovation
- Mouvement des cibles : avions sur tiges rotatives alternent trajectoires pour créer de l’imprévu.
- Système de détection : cercles "HIT" qui s’allument pour indiquer quel joueur a touché la cible — une UI simple et claire pour l’époque.
- Éclairage Black Light : utilisé pour renforcer les couleurs et l’impression nocturne ou exotique du décor.
 
Les vidéos restaurées montrent un gameplay proche du Defender vu plus tôt, mais la variation de cibles rend les parties plus dynamiques. À nouveau, Chicago Coins exploite la formule miroir + mécanique physique pour produire une sensation de profondeur que le marketing traduit en "3D".
🏍️ Jet Rider (Midway) — la moto à guidon réel
Jet Rider de Midway est un jeu de moto qui reprend une configuration devenue populaire : guidon authentique (sans pédale) et maniement direct du volant guidon. L’expérience promet "une course jusqu’à la banque" — autrement dit, un bon remplissage pour l’opérateur si le jeu plaît au public.
 
Il n’existe malheureusement pas (ou peu) de vidéos complètes de Jet Rider dans son état d’origine. Cependant, le jeu se rapproche fortement de Motorcycle de Chicago Coins ou des Speedway/Speedway-like machines : un ensemble de disques peints et de plateaux animés créent l’illusion d’une course et le guidon module la vitesse ou la position du joueur.
Principaux traits
- Guidon authentique : sensation plus organique que pour un simple volant.
- Sons synchronisés à l’accélération : bruit de moteur calé sur la vitesse pour l’illusion.
- Risques : collision entraîne flip de la moto (animations sonores et visuelles).
 
À défaut de trouver Jet Rider lui-même, regarder Motorcycle permet de comprendre le ressenti : c’est la répétition des gestes de conduite couplée à une dose d’aléatoire qui rend chaque course différente.
✈️ Night Bomber (Chicago Coins) — la mission nocturne
Night Bomber propose une approche plus cinématographique : le joueur pilote un bombardier de nuit, vise des cibles stratégiques et assiste aux explosions. Le flyer insiste sur l’illusion de nuit rendue possible grâce au Black Light et au décor lumineux — on se croirait dans une mission réelle.
 
Ce qui distingue cette borne, c’est l’idée de déplacer non seulement un viseur mais aussi un ensemble de miroirs internes, donnant la sensation de se déplacer au-dessus du décor. Autre détail technique : le décor est souvent monté sur un tapis rotatif (ou grand convoyeur) qui active les cibles et change la scène périodiquement.
Éléments spectaculaires
- Miroirs mobiles : modifient la perspective et donnent l’impression de voler.
- Targets lumineux : valeurs de points qui changent dans le temps.
- SFX : missiles, explosions, briefing pilote — tout est là pour immerger le joueur.
 
La vidéo d’un exemplaire montre bien le grand tapis qui tourne avec les décors peints et la manière dont les explosions sont simulées — très efficace pour l’époque, surtout lorsqu’on considère la contrainte d’espace (la borne se veut moins profonde que d’autres machines du genre).
🚗 Monte Carlo (Sega) — le prototype Sega de course
Sega entre dans la danse avec Monte Carlo, un jeu de voiture en piste à trois voies. Le flyer annonce un "circuit à trois voies black-light" et un timer réglable jusqu’à 70 secondes, ce qui laisse penser à un gameplay calibré pour maximiser les rotations de caisse dans la salle.
 
Le principe technique est intéressant : la piste est simulée par des voitures physiques posées sur trois chaînes (une par voie) et réfléchies via miroir sur le plan de jeu. Un jeu original pour l’époque car les voitures adverses changent de voie, forçant le joueur à gérer à la fois vitesse et déplacement latéral.
Aspects notables
- Siège optionnel : pour ajouter du confort (et du spectacle) en salle.
- Mécanique des trois voies : chaînes distinctes pour alimenter le flux de véhicules adverses.
- Réglage opérateur : possibilité de configurer la distance gagnante, le temps, etc.
 
Il existe des vidéos de l’intérieur en cours de restauration : elles permettent de comprendre le fonctionnement des chaînes et l’astuce utilisée pour éviter que les trois voitures adverses ne se retrouvent au même endroit. Monte Carlo a certainement contribué à la standardisation des courses à trois voies chez les fabricants EM.
🐦 Road Runner (Bally) — l’apogée de la course à trois voies
Road Runner de Bally est probablement la borne la plus spectaculaire de cette sélection. Si Monte Carlo a des idées, Road Runner les pousse plus loin : plus de trafic, collisions spectaculaires qui projettent littéralement la voiture du joueur hors de sa voie, et un rendu "non filmique" — ce sont de véritables modèles mécaniques en action, pas des images projetées.
 
Le mécanisme est révélateur : chaque voiture se déplace sur sa voie grâce à une chaîne (ou système équivalent). En cas de collision, la voiture-joueur est montée sur une tige qui la propulse, la fait tourner et la fait retomber — un gag mécanique spectaculaire qui fait partie intégrante du plaisir de jeu. Les sons d’accident et les lumières black-light renforcent l’effet.
Pourquoi Road Runner fonctionne si bien
- Spectacle visuel : un accident est un moment fort — applaudissements garantis dans une salle d’arcade.
- Variété : beaucoup plus de voitures en circulation que sur Monte Carlo, donc plus d’événements imprévus.
- Contrôle et risque : la gestion de vitesse et de changement de voie exige de l’anticipation et du timing.
 
Plusieurs vidéos restaurées montrent des états très différents selon la qualité de la restauration : variations de lumière, de son, d’intensité du black-light, tout cela influe sur l’expérience et rappelle que ces machines sont avant tout des assemblages mécaniques vivants, pas des systèmes numériques figés.
🔧 Restaurations, variations et magie mécanique
Un point récurrent dans mes recherches : la grande différence entre deux exemplaires du même jeu. Contrairement à l’électronique — où un système fonctionnel produit toujours la même séquence — les bornes EM varient selon :
- La qualité des ampoules ou du black-light
- L’état des contacts et pistes (qui gèrent détection et scoring)
- La lubrification et l’alignement des chaînes et tiges
- Les différences dans la restauration sonore (certains sons ont été recréés ou réamplifiés)
Cela rend chaque exemplaire quasi-unique : on retrouve la même chorégraphie mécanique, mais la perception diffère. C’est sans doute ce qui rend la chasse aux machines originales si passionnante pour les collectionneurs et restaurateurs.
 
💬 Observations marketing et langage de vente ("3D" partout)
Un trait amusant : le mot "3D" apparaît sur presque tous les flyers. Qu’il s’agisse d’une réflexion miroir, d’un élément en surimpression ou d’un simple effet de profondeur, chaque fabricant clame l’innovation « 3D ». De même, les promesses pour les exploitants (revenus, "machine gagnante") sont systématiques — marketing, tout simplement.
Quelques expressions typiques trouvées sur les flyers :
- "Effet visuel 3D réaliste"
- "Son solid-state isolé pour le joueur"
- "Nouveau stand de tir avec recul réaliste"
- "Trois voies pour un maximum d’action"
Ces formules montrent à quel point la frontière entre innovation technique et discours commercial était floue : l’idée était d’attirer l’opérateur d’abord, le joueur ensuite.
🧭 Pourquoi 1971 est une année charnière
1971 marque un point de convergence. D’un côté, les EM sont à leur apogée : mécanismes sophistiqués, jeux à thème finement travaillés, systèmes sonores "solid state". De l’autre, l’émergence de jeux électroniques comme Computer Space annonce la révolution numérique.
Les bornes EM continuent d’offrir des sensations impossibles à reproduire facilement par les premiers jeux vidéo — feedback physique, objets réels en mouvement, explosions mécaniques. Mais les nouvelles promesses de l’électronique (programmabilité, diversité de gameplay sans nécessiter de lourds mécanismes) allaient rapidement changer la donne.
📚 Conseils pour collectionneurs et exploitants
Si vous envisagez de restaurer ou d’exploiter une de ces machines, voici quelques recommandations pratiques issues des observations et vidéos :
- Contrôlez et remplacez les ampoules Black Light : elles changent complètement l’aspect visuel.
- Vérifiez les contacts et nettoyez les pistes : nombreux dysfonctionnements viennent de connexions oxydées.
- Lubrifiez et alignez chaînes/tiges : le bruit, la cadence et la précision des mouvements en dépendent.
- Préservez les éléments décoratifs peints : ils participent grandement à l’ambiance.
- Documentez chaque restauration : des photos avant/après aident pour pièces de rechange et diagnostics.
 
🔚 Conclusion — le charme intemporel des EM
1971 reste une année fascinante : elle rassemble des bornes qui, aujourd’hui encore, émerveillent. Defender Machine Gun, Twin Machine Guns, Night Bomber, Monte Carlo ou Road Runner illustrent la créativité mécanique d’une industrie qui savait séduire par le tangible. Ces machines ne sont pas seulement des reliques : elles racontent une époque où l’électronique n’était pas encore reine et où la mécanique, les miroirs, les ampoules et les moteurs racontaient des histoires à eux seuls.
Si vous aimez l’histoire de l’arcade et des jeux (et si vous êtes curieux de la mécanique rétro), plongez dans les vidéos restaurées : chaque machine a sa cadence, son souffle, sa petite imperfection qui la rend vivante. Et si l’envie vous prend, cherchez une borne restaurée près de chez vous — rien ne vaut le bruit d’un moteur d’EM, le cliquetis d’une chaîne et l’explosion mécanique d’un avion qui crashe.
Merci d’avoir parcouru cet article. Si vous souhaitez aller plus loin, abonnez-vous à la chaîne d’Olipix et jetez un œil aux liens et vidéos de restauration que j’ai consultés : vous y trouverez des plans, des démonstrations et surtout beaucoup d’émotion mécanique.
